Le voyage de Thanaris et Fyra

Le bruit que Fyra émit en se blessant fut entendu par Thanaris, qui pouvait très bien entendre des sons à une grande distance lorsqu'il était dans un silence quasi-total. Toutefois, le bruit ressembla plutôt au cri d'un animal, auquel le directeur adjoint ne porta tout simplement pas attention. Il se mit donc à appeler la professeure, espérant qu'elle use d'un peu de sens commun pour comprendre que sa blague n'était peut-être pas très appropriée.

-Fyra! cria-t-il. Je vous donne une minute pour vous dévoiler et si vous ne le faites pas, j'irai vous chercher vous même! Je fais ça pour votre propre sécurité, puisque de toute façon vous ne semblez pas vous en soucier.

Plus Thanaris parlait, plus il sentait que ce qu'il disait n'aurait aucun impact sur Fyra. Il l'imaginait parfaitement, courant entre les arbres, riant de ses veines tentatives de la faire revenir sur ses pas. Il soupira, découragé.

Fyra entendit très bien les paroles de Thanaris et ne trouvait plus la situation très drôle, elle non plus. Elle pourrait quand même trouver ça drôle plus tard, quand elle n'aurait plus mal et qu'elle pourrait ramener ses blessures sur le dos de Thanaris pour le taquiner! Tout tournait autour d'elle puisqu'elle venait tout de même de débouler une colline et qu'elle ne savait pas trop où mettre ses idées; se relever ou regarder ses blessures? Elle fit la moitié des deux; s'asseyant, elle commença à tâter son corps, les yeux fermés pour ne pas apercevoir le sang qui coulait peut-être d'une quelconque plaie. Sa tête lui tournait encore effroyablement, mais elle devait quand même savoir si elle pouvait ouvrir les yeux! C'est justement le fait qu'elle ne pouvait pas ouvrir les yeux qui fit se rapprocher le danger...

"Thanaris! Je suis ici et je crois que je suis blessée... Oh! Je saigne!"

Fyra devint extrêmement blême en sentant le sang sous ses doigts; elle commença donc par se boucher le nez pour ne pas sentir l'odeur âcre de son propre sang, espérant que le directeur adjoint la trouve rapidement! Ce qui ne serait pas mauvais, parce que ça se rapprochait d'elle...

Le directeur adjoint avait immédiatement cessé de marcher lorsqu'il avait cru entendre le son de la voix de Fyra. Il ne comprit pas tout ce qu'elle lui dit, mais crut entendre qu'elle parlait de sang. En se dirigeant dans la direction du son, il espérait qu'elle allait bien malgré cela.

-J'ai sûrement entendu de travers, pensa-t-il. Si Fyra saignait, je crois qu'elle n'aurait même pas la force de me crier qu'elle saigne. Au moins, cette fois, elle a décidé d'être raisonnable.

Thanaris se précipitait dans la direction de la professeure, courant aussi vite qu'il le pouvait en jetant un oeil attentif aux alentours. Il la trouva un peu plus d'une minute plus tard, par terre, les yeux fermés, sa plaie saignant légèrement. La blessure n'avait rien de grave, mais pour Fyra, la moindre goutte pouvait être pire qu'une hémorragie! Alors qu'il s'approcha d'elle pour lui porter secours, il eut à peine le temps de sentir la présence derrière lui qu'il se retourna, juste avant d'être attaqué par...

Deux énormes vignes allaient agripper Thanaris; ces vignes étaient liés à ce qui semblait être un gros tas de feuilles mortes sur deux pattes. Elle semblait s'être levée d'un peu plus loin, au bas de la colline, là où Fyra avait roulé et où le directeur adjoint avait pilé.

Quant à Fyra, elle ne savait pas du tout que deux énormes vignes s'apprêtaient à agripper Thanaris, mais elle avait entendu ses pas et appelait le nom du directeur adjoint. Elle gardait les yeux fermés, incapable de les ouvrir puisqu'elle avait du sang sur les doigts et sentait son odeur âcre lui brûler les narines. Son haut le cœur la fit se retourner et vomir...

Thanaris avait été trop préoccupé par l'état de Fyra et avait baissé sa garde. Lorsqu'il se retourna pour voir le monstre, ses énormes bras de vignes s'enroulaient autour de lui pour le saisir. Le directeur adjoint avait au moins préparé deux épées courtes, sachant que la forêt était dangereuse, et les dégaîna d'un seul coup dans le bras de la créature. Celle-ci, par réflexe, jeta l'elfe sur un arbre non loin. Le directeur adjoint fut projeté contre le tronc, son dos émettant un craquement peu rassurant.

Il se releva avec peine. Le monstre, si il avait eu un visage, aurait pu être surpris de le voir encore en vie. Thanaris se jeta alors vers la créature, mais ses techniques de contre-attaque étaient difficilement utilisables contre une plante qui ne ressentait pas la douleur. Il fut donc entouré de nouveau par une des lianes du monstre, bientôt suivie de la deuxième. Les bras de la plante se mirent à le serrer, ce qui lui fit pousser un cri de douleur. Les lianes étaient trop grosses pour être sectionnées d'un seul coup d'une épée aussi petite que celles que Thanaris avaient.

-Fyra! réussit-il à crier. Une boule de feu, vite!

Sa demande était à peine compréhensible, la douleur déformant sa voix et ses traits. Il espérait que Fyra comprenne et surtout, qu'elle ne laisse pas sa peur du sang l'immobiliser : elle vomissait déjà, ce qui laissait présager le pire.

Fyra n'entendit pas les premiers signes de combat parce qu'elle était en train de vomir, mais elle entendit très bien le dos de Thanaris craquer contre l'arbre en s'essuyant la bouche sur un mouchoir dans sa poche. Elle fit volte face, les yeux fermés, criant le nom du directeur adjoint. Entendant des bruits de combats, la professeur d'arts se releva et recula, grimaçant parce qu'elle venait de se mettre le pied dans son tas de vomis. Elle s'était concentrée à écouter, incertaine de où venait exactement le combat, ce qui la permit d'entendre Thanaris crier, ce qui lui fit ouvrir ses yeux. L'horreur se peint sur son visage et l'elfe n'eût pas à se faire prier deux fois que la demie elfe incantait déjà! Une boule de feu surgit de la paume ouverte de Fyra, beaucoup plus petite que la normale. Cela mit une odeur de sang brûlé dans l'air parce qu'elle avait lancé le sort de sa main imbibée de sang. Épuisée, la professeur d'arts se laissa écrouler sur le sol tapissé de feuilles.

La boule de feu toucha le bras qui retenait Thanaris prisonnier, brûlant la créature qui recula. Le directeur adjoint put se libérer sans être atteint par les flammes et se précipita sur Fyra pour lui porter secours, n'ayant aucune intention de combattre le monstre plus longtemps. Il eut tout juste le temps de l'attraper en courant et ne remarqua pas la flaque de vomi par terre, sur laquelle il glissa. Il s'étata alors de tout son long, les genoux dans le liquide visqueux, alors que la créature végétale se rapprochait de lui pour l'attaquer de son bras encore valide, à peine touché par la déflagration.

Fyra était très consciente, tout simplement faible et ne pouvait pas trop bouger; ils n'étaient pas en vacance pour rien! Elle ne s'attendait pas à ce que Thanaris tombe et cria de douleur en tombant au sol. La bête s'approcha d'eux et allait agripper encore une fois Thanaris, mais Fyra eût pour réflexe d'attraper une de ses épées courtes et de tout simplement donner des coups dans le vide, souhaitant frapper le monstre dans sa vaine tentative. En effet, elle réussit à le frapper, mais l'espèce de tas de feuilles l'agrippa elle de sa vigne restante, visiblement mécontente!

Puisque Fyra avait été attrapée par le monstre, il restait toujours Thanaris pour la libérer. La situation lui plaisait bien plus que si il avait été capturé et qu'une professeure épuisée devait le sauver! Il sauta sur le monstre, qui ne pouvait plus utiliser son bras restant pour se défendre sans lâcher Fyra, et se mit à le rouer de coups d'épée.

La créature était solide, mais les coups répétés le firent lâcher sa prise pour se concentrer sur lui. Il était maintenant bien plus facile de s'occuper de la plante alors qu'elle n'avait qu'une vigne. Esquivant facilement les coups de celle-ci, Thanaris en asséna d'autres jusqu'à ce que le monstre lui fonce dessus, le plaquant au sol et le recouvrant. Le directeur adjoint ne s'y attendait pas du tout et fut pris sous le monstre, sous une énorme masse de feuilles et de vignes. Dans la noirceur qu'il percevait, il aperçut à peine l'énorme gueule de la plante, cachée sous une couche de végétation dans son ventre. Une énorme bouche garnie de dents longues et acérées...

Fyra avait été écrasée par le monstre et soufflait maintenant au sol, épuisée, l'adrénaline presque toute partie après qu'elle se soit fait blesser par la créature plante. Elle remarqua alors que le directeur adjoint se débrouillait très bien sans elle et récupéra un peu de son souffle pour finalement remarquer qu'il venait de se faire enterrer par le monstre. Dans un effort ultime, la demie elfe s'élança vers la créature, l'épée au dessus de sa tête en lançant un cri de mort. Elle planta de toutes ses forces l'épée dans la créature, souhaitant que le directeur adjoint ait le temps de se tasser d'en dessous ou, encore mieux, que la bête meure!

La créature ayant ouvert la bouche pour dévorer le directeur adjoint, elle avait aussi exposé ses organes internes et quelques muscles nécessaires à la digestion. Thanaris était bloqué et ne pouvait rien faire du tout, mais l'épée de Fyra, elle, atteignit une partie profonde du corps du monstre. Celui-ci se releva d'un coup, profondément blessé, et referma sa gueule pour ne plus exposer ses organes internes, mais le trou fait par Fyra restait bien visible. Le directeur adjoint se releva aussi d'un bond, vit la plaie et alla l'aggrandir d'un coup d'épée bien placé. La créature tenta de résister, mais faiblit assez vite et tomba après quelques attaques.

Thanaris s'épongea le front en fixant le monstre, massant son dos endolori.
-Ça va? demanda-t-il. Plus de peur que de mal de mon côté, quoique ma colonne est un peu déplacée, si je ne m'abuse.

Quant à Fyra, elle allait répondre à Thanaris que son corps entier lui faisait souffrir, mais n'en n'eût pas l'occasion, tout cet affolement l'avait plus qu'exténuée et elle tomba , essayant de se rattraper en vain. Sa chute était devant elle donc le directeur adjoint aurait peut-être une chance de la rattraper avant qu'elle ne se casse la figure au sol! La pauvre n'était presque plus capable de bouger et sentait l'odeur du sang qui la paralysait encore plus!

Thanaris rattrapa la demi elfe avant qu'elle ne tombe au sol, mais la lourdeur de sa chute lui fit un peu mal au dos et il tomba presque avec la professeure. Heureuesement, il se rattrapa sur un genou et se releva lentement, transportant Fyra avec peine jusqu'à l'extérieur de la forêt, puis à leur calèche qu'heureusement, personne n'avait touché, du moins en apparence. Le directeur adjoint déposa ensuite sa compagne de voyage dans le véhicule, enleva le sang de ses vêtements et prit sa place de cocher pour continuer leur route. Il soupira, son dos lui faisant très mal.

-Vivement le prochain village, dit-il. J'espère pour Fyra qu'elle tardera un peu avant de se réveiller, je risque d'être un peu rustre d'ici là...

Fyra gémit à l'intérieur de la calèche, comme pour faire remarquer à Thanaris qu'elle venait d'entendre. Elle remarqua alors qu'il n'y avait presque plus de sang sur ses vêtements et respira déjà mieux! Essayant de se relever, mais incapable de trop bouger, Fyra fit quelques mouvements maladroits pour finir par ouvrir la porte de la calèche.

"Vous conduisez? Venez me chercher avant que la calèche ne tombe en morceaux..."

Même dans son plus piètre état, Fyra était capable de taquiner le directeur adjoint! On entendait très bien dans sa voix qu'elle n'était pas bien du tout; douleur et fatigue se mêlaient dans sa voix, ainsi qu'un peu de mauvaise humeur, donc son caractère de cochon allait ressortir de beaucoup!

Lorsque Thanaris entendit la voix de Fyra, la calèche s'arrêta d'un coup sec. Le directeur adjoint débarqua lentement de son siège, marcha jusqu'à la portière et entra pour rejoindre la professeure, refermant derrière lui. Il ne semblait pas content du tout.

-Pourquoi avez-vous fait ça? lui dit-il d'un ton qui laissait présager la colère qui l'habitait. Je vous avais prévenue, nous avons failli mourir. Tous les deux, tués par une énorme plante, à peine deux heures après notre départ. Nous en avons pour une semaine, au minimum! Comment pensez-vous que nous allons survivre de cette façon?

Il semblait visiblement fâché, mais réprimandait Fyra comme un patron réprimande son employé : il ne lui en voulait pas particulièrement, mais ne voulait pas que ça se reproduise.

Fyra fût projetée par l'avant quand la calèche s'arrêta d'un coup sec, tombant sur ses bagages. Quand Thanaris entra dans la calèche, il la vit, mécontente, en douleur entre les valises. Elle se releva d'un coup sec après avoir fini d'écouter les paroles et regarda Thanaris d'un air tout aussi frustré que lui.

"Avoir su que vous n'étiez pas l'homme que je pensais que vous étiez, Thanaris, je n'aurais pas mis ma vie entre vos mains. Ne vous inquiétez pas, ça ne recommencera pas! Je ne veux pas que vous conduisez ma calèche parce qu'elle est beaucoup trop chère pour moi; nous resterons ici, pour la nuit, tout au moins."

La professeur, hors d'elle, sortit de la calèche en tombant presque, s'étant jetée en dehors pour éviter le regard de Thanaris pendant qu'elle avait encore assez de sang froid pour garder ses larmes de couler.

Le directeur adjoint ne s'attendait pas à une réaction de ce genre venant d'une femme blessée et presque inconsciente. Surpris, il la laissa sortir de la calèche, mais la suivit lentement alors qu'elle se dirigeait vers la direction de leur futur campement.

-Laissez-moi vous aider, dit-il en tendant la main à la professeure pour l'aider à marcher avec sa blessure.

Fyra s'avançait avec misère, forçant ses jambes à se lever tandis que chacun de ses pas lui demandait un effort ultime. Quand Thanaris arriva à ses côtés en tendant la main, comme si rien n'était, elle se retourna vers lui, en colère jusqu'aux larmes en tapant sa main pour l'éloigner d'elle. Elle n'était pas dans son assiette du tout, le sang et la peur de mourir l'avait trop secouée et elle en tremblait.

"Laissez-moi tranquille! Vous auriez dû aller en voyage avec quelqu'un qui sait se défendre comme ça cette personne n'aurait pas peur de mourir à toutes les trente secondes! Le voyage vient de commencer et je veux déjà retourner dans mon lit pour y rester et récupérer! Avant, mon lit, à l'école, était un endroit sûr et maintenant, même là, j'ai peur d'y retourner! Vous ne comprenez donc rien, n'est-ce pas?"

La professeur d'arts tremblait de la tête aux pieds, elle était terrorisée, avait mal et était déçue. Elle se laissa tomber au sol en position assise, prenant sa tête entre ses deux mains, laissant les larmes couler sur ses joues, mais retenant les sanglots. Elle avait au moins assez de force pour faire ça...

Le professeur d'assassinat voyait que la jeune femme n'allait pas très bien et que son excès de colère venait de laisser place à une certaine tristesse. Il se sentait soudainement très mal et ses intentions venaient se s'évaporer comme un nuage de fumée. Si seulement elle lui avait donné une plus longue chance, il aurait pu s'en sortir. Par contre, ce n'était pas le cas et il regarde Fyra sans rien dire pendant un moment.

-Excusez-moi, dit-il après quelques temps de silence. Je ne veux pas être rude, même si les blessures et tout cela me rend un peu fâché. Je ne dis pas que vous n'êtes pas capable de vous défendre : au contraire, c'est grâce à vous que le monstre est mort. Sans votre magie, nous étions cuits.

Cuits, boule de feu. Thanaris se rendit compte de son jeu de mot atroce quelques secondes plus tard et soupira, espérant que Fyra ne pense pas qu'il essaie de la faire rire avec cet humour pitoyable.

Fyra lâcha un cri de colère et essaya de se relever, mais en fut incapable, ce qui la rendit encore plus en colère. Elle détestait être ainsi, surtout en avant de Thanaris, ce qui la frustrait encore plus! Elle en avait assez et cela ne faisait qu'environs deux heures qu'ils étaient partis! Elle se laisse coucher sur le dos, regardant le directeur adjoint de façon à lui faire comprendre qu'elle n'allait vraiment pas et qu'elle était hors d'elle. Elle prit quelques instants à reprendre son souffle avant de s'élancer dans sa colère.

"Vous comprenez donc rien à rien? Je m'en fou d'être forte ou non! Je m'en fiche! Je ne suis pas faite pour le combat et je ne veux pas combattre; vous aviez dit que vous alliez prendre cette tâche là! Et qu'avez-vous fait? Vous vous êtes fait réduire en miettes par une plante! Une PLANTE! Je croyais que j'étais en sécurité avec vous, mais je vois que je suis plus en danger qu'autre chose!"

Si ses yeux pouvaient tirer des flèches, le directeur adjoint en aurait au moins une vingtaine dans le corps! S'essuyant avec rage les larmes qui coulaient sur ses joues prenant une grande respiration, Fyra ferma les yeux et commença une sorte de méditation pour la permettre de se contrôler et oublier le monde extérieur.

Thanaris détestait qu'on le sous-estime, mais il détestait encore plus qu'on lui reproche une défaite. Toutefois, il n'étais pas fâché du tout envers Fyra : toute sa colère se reporta sur la seule autre personne présente, lui-même. S'asseyant par terre, le corps lourd, le visage sombre, il pensa à ce que la professeure venait de dire. Elle avait raison, il était peut-être trop rouillé pour un tel voyage, ou tout simplement trop vieux. À cet instant, Thanaris se sentait vieux.

-Je pense que cette fois était une exception, se décida-t-il à dire avec un léger regain d'entrain. Je combattais une plante, immunisée contre la plupart de mes techniques. De plus, vous étiez blessée et j'ai été pris par surprise. Je suis un peu rouillé, je l'admets, mais les circonstances du combat étaient contre nous. Il n'y a pas eu de mal, après tout : mon dos est un peu souffrant, certes, mais ce n'est rien. Votre blessure, ce n'est même pas le monstre qui l'a faite. Vous voyez bien que les dégâts sont minimes, même malgré tous les désavantages.

Le directeur adjoint savait que même avec tous ces arguments, ils était difficile de raisonner une femme de la trempe de Fyra lorsqu'elle était en colère. Au fond de lui-même, il se trouvait inutile et rouillé par toutes ces années de travail à l'école, mais ne devait pas l'admettre : ce serait donner raison à la professeure, qui serait sûrement fâchée bien plus longtemps.

Fyra le fusillait toujours du regard après ses explications, ne semblant pas du tout satisfaite. Elle écarta les bras, faisant de son corps une forme de croix et plongea son regard dans celui de Thanaris.

"Si vous êtes si rouillé, je crois que je peux continuer à avoir peur. Ce serait plus facile de rentrer à l'école ou, non, encore mieux, d'en finir tout de suite. De toute manière, nous n'avons jamais su pourquoi les Daédriques vous en voulaient. Si vous avez laissé votre frère mourir, pourquoi ne pas m'achever maintenant pour abréger mes souffrances, Thanaris?"

En effet, Fyra semblait souffrante; le monstre lui avait peut-être brisé une côte ou deux en l'écrasant lorsqu'il la tenait dans sa vigne. Pas du tout amusée ni blagueuse, ses paroles étaient sérieuses et visaient un peu à faire réagir ou blesser le directeur adjoint.

Thanaris s'attendait à tout, sauf à ça. La professeure lui demandait carrément de l'achever, faisant sûrement référence aux daédriques et à son frère pour le fâcher encore plus! C'était complètement inconcevable, mais pourtant, c'était ce qui se produisait. Le directeur adjoint se sentait trahi, mais tenta de ne pas le laisser paraître.

-Ça n'a pas de sens! dit-il à Fyra. À cause d'une dispute et d'un monstre, vous êtes prête à tout remettre en question? Votre loyauté? Votre confiance en moi? C'est cela, la vie d'aventuriers! Vous ne croyez pas que je mérite une seconde chance?

Si Fyra répondait négativement, Thanaris n'aurait plus rien à dire. Il acceptait qu'on remette ses dires en question, ayant décidé de vivre dans le mystère, mais Fyra était la seule qui ne l'avait jamais confronté auparavant. Si il la perdait, en qui aurait-il confiance?

Fyra, à nouveau les larmes aux yeux, se tourna sur le côté qui lui faisait moins mal, grimaçant tout de même par l'élancement que ses côtes endolories lui donnait. Elle ramena ses genoux contre sa poitrine, entourant ses jambes de ses bras, fermant les yeux fortement pour ne pas laisser les larmes couler.

"Vous comprenez vraiment rien, Thanaris, complètement rien..."

Ses paroles lui faisaient mal. En fait, à ce moment, tout lui faisait atrocement mal. Son corps faible, ses blessures, son cœur et ses pensées. Elle souhaitait que le directeur adjoint réussisse à comprendre, ce qui n'arriverait sûrement pas puisqu'il ne pouvait pas comprendre ce que c'était d'être une femme qui ne voulait pas se battre et qui ne savait pas se battre. Il ne comprenait sûrement pas toutes ses peurs.

Le directeur adjoint alla s'asseoir contre la calèche, épuisé. Avec la référence que Fyra avait faite sur Deoxis, il ne put s'empêcher de penser à son frère décédé en regardant la jeune femme. Elle lui faisait vraiment penser à son petit frère, lorsqu'il était encore enfant.

-Vous aviez parlé de mon petit frère, dit-il. Il était exactement comme ça. Quand je me battais, même quand on me l'ordonnait, il ne me parlait pas pendant plusieurs jours. Il a juré qu'il me détesterait à mort quand on lui a dit que j'avais tué quelqu'un pour mon premier contrat. Je lui avais promis de ne plus jamais tuer. Je me demande parfois si il n'aurait pas mieux tourné si j'avais tenu ma promesse.

Il regarda le sol un moment, soupirant. La mort de son frère ne lui faisait rien du tout, puisqu'il avait été mort à ses yeux pendant tant d'années. Celui que Fyra et lui avaient tué n'était pas Deoxis à ses yeux.

-Je suis désolé, dit-il ensuite. J'admets que je ne me suis pas trop bien débrouillé pendant ce combat. Bien pour un aventurier, mais je n'étais pas à la hauteur de mon titre de directeur adjoint. Je ne veux juste pas remettre ce voyage en question pour quelque chose comme ça. Ce serait trop triste, vous ne pensez pas? Nous n'aurons qu'à faire plus attention, à l'avenir, d'accord?